N'awlins, la ville aux notes d'éternité
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Romilly Barrett
Elle fige le temps par sa musique
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Romilly Barrett
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   Posté le 22-10-2004 à 16:20:32   Voir le profil de Romilly Barrett (Offline)   Envoyer un message privé à Romilly Barrett   

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24 Décembre 2004, 19 h 46.
En cette veille de la nativité, le ciel avait décidé de combler le premier des vœux des enfants de N’awlins. En effet, depuis quelques heures, la neige tombait en lourds flocons des cieux, enveloppant les rues d’un manteau de douce froideur. Mais les adultes n’étaient plus sensibles à la magie évanescente des larmes de cristal. Ils se pressaient dans les dédales du Vieux Carré, se croisaient sans se voir, s’engouffraient dans les entrées des magasins, lesquels exhalaient jusque sur le pavés des effluves de parfum et de chaleur.
Tout le cœur de la ville semblait d’ailleurs prit de frénésie. De faux pères noëls se croisaient dans le désintéressement général, faisant teinter des cloches de cuivre, élevant la voix pour une œuvre ou une autre. Les taxis étaient pris d’asseau par les passants chanceux qui venaient de terminer leurs achats de noëls et se précipitaient vers les lieux ou se retrouvaient leurs familles. Les paquets que transportaient chaque individu composant cette foule indifférente et pressée dégorgeaient de cadeaux enrubannés de mille couleurs. Des chants de noël étaient diffusés par les hauts parleurs accrochés aux réverbères qui éclairaient les artères principales des rues marchandes. La fête de la nativité, devenue succès commercial, était présente dans chaque détail : les devantures rivalisant d’imagination pour attirer les regards, les décorations en forme d’étoile ou de traîneau éclairant le ciel de la ville, les sapins géants décorés d’anges en papier se dressant à chaque carrefour. Mais la solitude aussi était omniprésente, et dressait son ombre effrayante entre chaque personne marchant d’un pas rapide sur les pavés de N’awlins. Dans cette débauche de luxe mêlée de rires, qui voyait encore ceux pour qui la neige n’était pas décors mais bien piège mortel ?

Pour Matthiew Perry, 65 ans, le 24 décembre n’était plus soir de fête depuis bien longtemps. Voilà sept ans qu’il vivait agenouillé devant le hall d’entrée du Toys Child’s World, l’un des plus grand magasin de jouet du Vieux Carré. Mais ce soir là, la casquette posée devant lui se remplissait encore moins qu’à l’ordinaire. Les gens étaient plus égoïstes encore dans leur bonheur que dans leur malheur. Qui pouvait voir sa détresse alors que tout chantait la félicité et l’aisance autour de lui ? Peut être est ce parce qu’il se résignait à son sort qu’il ne vit pas une jeune femme s’approcher de lui. Vêtue d’un long manteau noir cintré lui arrivant à mi mollet, la nouvelle venue s’agenouilla devant lui. Elle ôta ses deux gants rouge puis son bonnet de la même couleur. Une impressionnante cascade de cheveux couleur nuit dévala jusqu’au sol enneigé, mais elle ne fit même pas geste de les remettre en place. Au lieu de cela, elle fouilla dans ses poches d’ou elle sortit un billet de 50 dollars. Puis, dédaignant la casquette posée au sol, l’inconnue prit les mains glacées de Matthiew dans les siennes, les pressa un instant, puis y laissa le billet, les gants et le bonnet. Ses yeux verts riaient.

« Joyeux Noël monsieur »

Dit elle d’une voix douce, avant de se relever. Elle semblait grande, élancée, mais cette impression était en partie due aux bottines à talons aiguilles qui complétaient sa tenue. La jeune femme eu un dernier sourire à l’attention du vieil homme, puis elle se fondit dans la foule. D’elle, il ne vit bientôt plus que la masse sombre de sa chevelure, relevée par la marque rouge de l’écharpe qui se balançait doucement au rythme de ses pas.

En effet, contrairement à la majeur partie des gens qui se bousculaient dans la grand rue, Romilly Barrett laissait s’écouler le temps autour d’elle sans chercher à le poursuivre. Personne ne l’attendait, chez elle, car elle n’avait pas voulu déranger ses frères en leur imposant sa présence. Oliver, Alexandre, Charles et Louis étaient à présent tous mariés, et passaient les fêtes de fin d’année en famille. Quand à ses parents… Le sénateur Barrett était sans nul doute invité à l’une de ces réceptions que la jeune femme avait en horreur.
Voilà pourquoi elle allait d’une démarche tranquille, ses bottines semblant effleurer le sol. Son visage pâle, à peine rosi par le froid, s’offrait à la caresse des flocons de neige, alors qu’un sourire serein ajoutait une note intemporelle à ses traits. On ne la remarquait pas vraiment, perdue qu’elle était au milieu de la foule. Cependant, parfois, les hommes qui la croisaient se laissaient emprisonner par ce sourire qui ne leur était pas destiné. Ils ralentissaient alors leur course, cherchant à attirer une regard empoisonné qui ne les voyait même pas. Le parfum qui s’accrochait aux vêtements de l’inconnue venait chatouiller leurs narines de sa fragrance aussi douce que boisée. Ces passants ne connaîtraient peut être jamais le nom de la jeune femme, mais à l’avenir ils l’associeraient toujours à cet arôme à l’appellation prédestinée : « Chance » de Chanel.
Déjà, ils l’avaient dépassée. Certains se retournaient, et gardaient quelques minutes à l’esprit la démarche de cette demoiselle qui semblait jouer le temps sur une autre partition que la leur. Puis tous retournaient à leur univers, fait d’argent et de minutes précieuses.

Les mains enfouies dans ses poches, Romilly s’enivrait de la saveur particulière de la vie nocturne de N’awlins. Elle rêvait, de ces songes ou musique et amour ne formaient qu’une seule entité.
Elle rêvait, sans savoir que le rêve allait bientôt envahir sa vie de la manière la plus étrange qu’il soit. En ces instants même ou elle marchait, inconsciente de son avenir, les anges tissaient de nouvelles couleurs sur la trame de son destin.


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La musique est l'aliment de l'amour

[William Shakespeare]
Nicolas Underhill
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   Posté le 26-10-2004 à 16:39:08   Voir le profil de Nicolas Underhill (Offline)   Envoyer un message privé à Nicolas Underhill   

( )

A l'écart de cette foule anonyme et exaltée, comme protégé du monde par une bulle intemporelle, se trouvait un photographe. Rien au dessus de sa tête ne venait le protéger de cette pluie de coton flottant autour de lui. Pourtant pas une de ces larmes cristallines ne vint se poser sur lui, comme si douées de raison, elles évitaient l'homme et son fragile appareil photo.
Mais en cette veille de Noël, personne ne remarquait la féerie si elle n'était soigneusement enrobée de néons scintillants et de paillettes dorées.

L'on pouvait pourtant dire que cet homme ne passait pas inaperçu, aussi légèrement vêtu par une nuit exceptionnellement froide pour ces contrées chaleureuses: Il ne portait qu'une fine veste en flanelle de couleur opaline ainsi qu'un pantalon de bien simple facture. Point de gants, de manteaux, ni même d'écharpe pour le défendre contre une délicate bise mordante. Contrairement aux natifs de la région, le jeune homme était habitué aux hivers froids et rudes d'Angleterre. Et en dépit de la fragilité manifeste qui se dégageait de son physique chétif, l'anglais aurait pu affronter une tempête sibérienne si besoin était. Sa force d'âme était si grande que les petites vicissitudes glissaient littéralement sur lui sans pouvoir l'affecter outre mesure.

A travers l'objectif de son appareil photo, Nicolas était en quête d'instants magiques à dérober au fleuve du temps. En cette soirée si particulière, il capturait les ciselures de rêves incrustées dans les regards d'inconnus qui le resteraient certainement. Il y avait déjà, imprimé sur la bande d’halogénure d’argent, un fort joli butin: L'émerveillement d'une fillette levant ses yeux étincelants vers l'étoile ornant le plus majestueux sapin, l'éclat brûlant et passionné d'un adolescent énamouré, ou encore le sourire onirique d'un Père Noël emprunt d'une rare conviction…

Clic!

Les gouttes de lumières filtrèrent une fois encore à travers le diaphragme de la petite boite noire. Nicolas venait de saisir une lueur qu'il avait si longtemps cherché. La reviviscence d'un espoir que l'on croyait invariablement perdu, mâtinée d'une indicible gratitude à l'égard d'une vie qui ne promettait plus rien que morne mélancolie. Ici et maintenant, un vieil homme aux yeux mouillés le lui avait offert. Il s'appelait Matthiew Perry.

Notre photographe libéra enfin son visage de l'appareil qui le camouflait. De son regard aux mille merveilles, il embrassa la scène et ses figurants qui coulaient inlassablement devant lui. La rue s'imbibait maintenant d'une lumière irréelle, et la foule se pressait d'autant que l'heure de fermeture des magasins se rapprochait fatalement.

*Un dernier cliché pour terminer la pellicule*

Pensa-t-il sans se douter une seule seconde que la prochaine photo serait guidée par des mains probablement angéliques, ni qu'elle l'amènerait à un doux bouleversement de son existence.
Comme toujours lorsqu'il s'agissait de prendre l'ultime cliché d'une pellicule, Nicolas laissait faire le hasard, les fées, le destin, Dieu, ou tout autre appellation de ce que les hommes ne pouvaient rationnellement définir.

Il ferma les yeux un moment, fit le vide dans son esprit, et se laissa aiguiller par ces forces aussi subtiles qu'omniprésentes dans sa vie. L'objectif glissa sur de nombreux visages. Nicolas attendait un signe: Un battement de cœur différent des autres. La caresse d'une brise sur son visage. Ou encore une improbable émotion surgissant du fin fond de son âme.
Les trois se produisirent soudain, et de surprise, Nicolas appuya instinctivement sur le déclencheur tout en ouvrant la lucarne de ses yeux sur l'image même qui se fixait sur le film.

Le temps se figea pour lui comme pour la photographie, dans une seconde d'éternité.
Une simple illusion de sa conscience tourbillonnaire, allègrement happée par cette invraisemblable retrouvaille. Lentement, il fit glisser ses mains qu'il laissa retomber mollement le long de son corps. Son visage se para d'un sourire ineffable. Et dans sa gorge contrainte à un long mutisme résonnait déjà l'embryon d'un nom qu'il n'avait pas prononcé depuis des années.

"...Romy…"

Sa voix étranglée ne fut qu'un souffle; pas même un murmure. Les syllabes avaient été formulées du bout des lèvres. Pour la première fois depuis cinq ans, Nicolas avait éprouvé l'envie de s'exprimer.


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Photographier c'est mettre sur la même ligne de mire la tête, l'oeil et le coeur.
[Henri Cartier-Bresson]

La photographie est une brève complicité entre la prévoyance et le hasard.
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Romilly Barrett
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   Posté le 01-11-2004 à 14:52:47   Voir le profil de Romilly Barrett (Offline)   Envoyer un message privé à Romilly Barrett   

Quel fou avait un jour vanté le silence de la neige ? En effet, parmis tous les bruits que produisait la Grand Rue, seul le léger chant du tapis glacé fraîchement tombé, crissant sous ses pas, arrivait aux oreilles de Romilly. La jeune femme laissait les notes qui n’étaient musique que pour elle s’emparer de son esprit, de ses souvenirs. Dans cette sphère éthérée qui se formait autour d’elle, la citadine se laissait aller à des pensées couleur bulle de savon.
Plus tôt dans la journée, elle avait ressenti le besoin de monter dans le grenier de son appartement, d’ouvrir une malle restée close depuis bien trop d’années. Alors ses souvenirs s’étaient réveillés, portés par les mots d’un journal intime offert par son frère Louis et commencé le jour de ses dix ans.

Y étaient consignées toutes ces années passées loin des siens, dans cette école qui n’existait que pour une minorité de privilégiés : Poudlard, l’école des sorciers. Or Romilly était l’une d’entre elles, une sorcière… Du moins était ce l’un des titres auquel elle aurait pu prétendre si seulement elle l’avait décidé.
Plutôt que de se laisser porter par ce futur facile, la jeune femme avait préféré renfermer cette partie de son existence, cadenasser une malle contenant de longues robes noires, des chapeaux pointus et un journal relié de cuir. Alors pourquoi l’avoir retrouvé ce jour la précisément ? Sans doute n’existait il pas de raison précise, bien que la musicienne ait été troublée par la lecture de noms surgit d’outre tombe : Tristan de Senancour, Jasmine Royoa, Nicolas Underhill, Terrence Grandchester.
Voilà des années qu’elle n’avait pas eu de nouvelles de ces personnes, disparues à l’instant même ou le Poudlard express avait quitté l’enceinte de l’école à la fin de sa septième année d’étude. Néanmoins les visages lui étaient revenus, aussi vivaces que si elle les avait quittés la veille.

Voilà à quoi songeait Romilly Barrett, alors qu’elle écoutait la neige lui murmurer en chantonnant des contes d’autrefois. Une question aussi revenait apposer son point d’interrogation à la fin de chaque mesure. Devait elle reprendre sa plume ? Avait elle le droit, des années plus tard, de réveiller les fantômes du passé, de poser un épilogue à une histoire dont elle n’avait écrit que le prélude ? Qu’aurait dit la jeune Romilly, celle qui a quinze ans rêvait de changer la maison du Serpent grâce à la chaleur de son rire, si elle avait su ce qu’il allait advenir d’elle ? Fallait il le lui raconter, créer un arc en ciel intemporel entre elle et celle qu’elle avait été ? Relier à l’encre de sa vie son passé et son présent…

Ayant foi dans les signes du destin, la jeune femme savait que la réponse lui viendrait sous peu. Elle pouvait le ressentir, et les flocons qui venaient parfois offrir la douceur de leur caresse à ses joues lui soufflaient qu’elle avait raison.
Le moment approchait, et son cœur le devinant imprima une nouvelle cadence au flux de son sang. Attentive à ces changements infimes qui allaient lui ouvrir le chemin vers la réponse qu’elle recherchait, Romilly ferma un instant ses paupières sur l’étendue poison de ses yeux. Elle sentit monter un sourire en elle, qu’elle laissa courir jusqu’à ses lèvres.

Puis elle su qu’il lui fallait ouvrir le regard sur … Sur quoi ? Quel était ce lumineux pressentiment qui avait marqué ses pas depuis quelques minutes déjà ? Romilly s’y abandonna, comme elle s’abandonnait si souvent aux volutes d’une musique qu’elle était seule à entendre.
Tournant légèrement la tête, elle offrit son visage et son sourire à un autre horizon. Ses yeux reçurent à nouveau la lumière de la nuit, et elle pu voir l’éclat aveuglant d’un flash d’appareil photo.

Un paparazzi ? Voilà plusieurs mois qu’ils avaient cessés de la traquer, c’est pourquoi cette éventualité n’effleura même pas la musicienne.

En effet, par delà l’objectif, elle avait déjà reconnu celui qui venait d’immortaliser leurs retrouvailles. Comment aurait il pu en être autrement ? Ce cœur qui s’était emballé venait de manquer un battement, marquant de son silence l’éternité de cet instant.

Il était là, devant elle. Il la reconnaissait aussi, imprimant d’avantage encore sur sa rétine que sur l’aluminure d’argent les contours d’un visage autrefois familier. Ils s’étaient connus, autrefois, dans une vie qui semblait n’avoir existé que dans un rêve commun. Ils s’étaient croisés plutôt, savourant comme des morceaux volés à l’éternité les rares instants ou leurs regards s’étaient accrochés.
Nicolas Underhill, ancien élève de Serdaigle, dans une école située dans la lointaine Angleterre.

Avait il parlé ? Romilly aurait eu du mal à le dire, car ses jambes devenues coton refusaient de la porter vers cette voix qu’elle ne connaissait plus. Peut être était ce seulement la neige, qui lui avait renvoyé l’écho des pensées du jeune homme.

Puis son cœur se remit à battre, les flocons immaculés reprirent leur chute inexorable vers les pavés de N’awlins, les passants recommencèrent à ses croiser autour de Romilly et de Nicolas. Le cliché d’immortalité avait été prit, créant une bulle de bonheur, invisible, autour des deux protagonistes de cette scène surréaliste.
Il n’y avait qu’eux deux, le reste du monde venait subitement de cesser d’exister.

« Nicolas ? »

La voix de la saxophoniste, douce et flûtée comme une note de musique venait ajouter une nouvelle variation sur la partition de leurs retrouvailles.
Reprenant le contrôle de ce corps qui lui était soudain étranger depuis des années, la jeune femme franchit les quelques pas qui la séparaient du photographe. Les mains à la fraîcheur d’hiver vinrent entourer le visage de Nicolas, en un geste quasiment naturel.

« Nicolas, c’est bien toi. Je le savais. »

La phrase de Romilly pouvait sembler bien étrange, mais elle n’y prêtait pas garde, laissant parler cette partie d’elle-même qui avait pressenti ces retrouvailles, ou plutôt cette seconde rencontre.
Mais le destinataire de ces mots les entendrait il lui-même ? En effet la voix s’était faite plus douce, devenant simplement écho d’un regard qui s’était abîmé dans les yeux du photographe. L’absinthe venait apporter sa saveur alcoolisée au chocolat des prunelles de Nicolas, mais lequel des deux en serait le plus ivre ?


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   Posté le 04-11-2004 à 10:56:17   Voir le profil de Nicolas Underhill (Offline)   Envoyer un message privé à Nicolas Underhill   

Tandis que le négatif s'imprégnait de ces inoubliables yeux qui n'avaient jamais été poison pour Nicolas, tandis que le temps suspendait son vol entre deux secondes qui paraissaient chacune cent ans, tandis que l'instant se parait d'un voile onirique que seuls deux êtres captaient et savouraient ensemble: le paysage et ses figurants semblèrent se fondre dans un tableau flou aux couleurs diluées par le regard humide du photographe. Dans la lucarne de ses yeux, il ne restait plus qu'une Romilly aux contours incertains -puisque superposée à cette Romilly adulte, s'esquissait aussi celle de son adolescence-, dessinée sur une toile abstraite et bigarrée.

Nicolas plongea alors dans l'une de ces introspections vivantes dont il avait le secret. Il marchait maintenant sur un sol pavé de souvenirs arc-en-ciel, se mêlait à l'écho de conversations surgies d'autrefois, respirait à nouveau les saveurs sucrées de cette époque fardée de poudre de fée que furent ses années d'étude. Tous les rires et toutes les larmes, les joies autant que les peines, lui revinrent en mémoire dans un extraordinaire cyclone accaparant quatre de ses sens. Quand à celui du toucher, le sorcier s'en trouvait momentanément démuni.
Il contemplait le film de son existence en condensé, comme s'il en était simple spectateur bien qu'il en fût le personnage principal.

Enfin, une scène telle une bulle de rêve submergea toutes les autres et se cristallisa autour de Nicolas. Le sorcier, qui entrait alors en première année, se trouvait dans la grande salle de Poudlard. Il s'y retrouvait plutôt: entendait les rires et les cris, surprenait l'odeur des plats chauds s'étalant sur les grandes tables, s'émerveillait du magnifique plafond simulant la voûte céleste. Il remarqua ces deux élèves dont il ne savait rien, sinon qu'ils semblaient bien plus magiques que tout ce qu'il avait pu découvrir jusqu'alors. Il ressentit son estomac grogner de faim, tout comme à l'époque. Il voulut avancer vers une table et vite s'y installer. Il souffrit de vertiges, ses jambes se firent coton. Il se revit tomber, sombrer au ralentit dans les bras veloutés de l'inconscience. Il sentit…
...ces mains douces et glacées enclore subitement son visage!

Le toucher revenu, ses autres sens affluèrent de concert. Ses iris chocolatés fondirent sous la chaleur du regard absinthe qui coulait maintenant sur lui. Sans qu'il s'en soit rendu compte, son ancien sourire d'enfant s'était perché sur ses lèvres. Ce mélange de grâce et de foi démesurée, un sourire tel un étendard à sa simple joie de vivre, lustré par l'envie de saisir la moindre occasion de pouvoir le brandir.
Le visage tout proche de Romilly Barrett, comme jaillissant de ses réminiscences, renvoyait un sourire aussi pur que le sien.

*Oui, c'est bien moi.* répondirent ses yeux qui, s'ils n'exprimaient aucun étonnement, laissaient cependant transpirer tout leur émerveillement.

Nicolas aurait voulu répondre de sa bouche même, celle-ci s'étant d'ailleurs ouverte en prévision de paroles qui s'annonçaient en flots. Mais pas une goutte de mot ne parvint à franchir le barrage de sa gorge. Seul un soupir résigné et serein s'échappa de ses lèvres entrouvertes, car bien qu'il ne puisse encore parler, il savait depuis tout à l'heure qu'il en faisait le souhait. C'était seulement sa chair, ses organes en sommeil, qui l'en empêchaient encore. Mais Nicolas, le cœur déjà plein de gratitude, pressentait l'imminence de leur éveil.

Les mains du jeune homme virent délicatement cueillir celles de la musicienne, pour les ramener à hauteur des hanches, et finalement ne garder que l'une d'elle – la droite - nichée dans le chaleureux écrin entrelacé de ses dix doigts.
Un geste de tendresse pudique, assurément. Mais également un moyen de se faire comprendre pour notre photographe muet. Les yeux seraient ses lèvres, et les mains parleraient son verbe. De ces dernières, la gauche invita consciencieusement la main docile de Romy à présenter sa paume aux cieux, tandis que la droite y apposa son index.

Leurs regards s'emmêlèrent autant que l'étaient leur destin. Du bout du doigt, Nicolas dessina une caresse en arabesques sur la paume de son amie.
C'était en fait bien plus qu'une caresse. Nicolas avait esquissé un symbole connu des seuls sorciers, une rune signifiant silence ou mutisme, comptant sur la perspicacité de Romilly pour saisir son message.


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   Posté le 14-11-2004 à 10:58:32   Voir le profil de Romilly Barrett (Offline)   Envoyer un message privé à Romilly Barrett   

Romilly ne se lassait pas, en ces quelques secondes, de laisser son regard se perdre dans les contours du visage de Nicolas. Elle y retrouvait l'étincelle de son adolescence, le souvenir d'un garçon qu'elle avait ramené à la lumière du jour grâce à la douceur sucrée d'une eau saveur amitié en devenir. Mais il était différent aussi, plus vieux, ses iris s'étaient colorées d'années passées loin de Poudlard, son visage avait acquis des rides inexistantes dans les souvenirs de la jeune femme. Elle les découvrait pour la première fois sous la paume de ses mains immobiles, marques d'un temps qui avait filé entre eux sans même qu'ils ne s'en rendent compte.
A chaque fragment de temps passé, elle revenait toujours aux réponses inscrites dans les yeux de Nicolas, dans ce sourire dont elle était l'instigatrice et la dépositaire. Oui, le temps s'était bien figé, suspendant son vol comme dans les anciennes légendes. Dans ce silence de secondes volées à la Camarde, Romilly senti un grondement lointain prendre naissance en son cœur. Longtemps celui-ci était resté silencieux, ne vivant que de notes éparses et de pensées solitaires. Il avait survécu plutôt, s'endormant douillettement dans la mélodie lente et rassurante de ses propres battements, rêvant à un avenir auquel il avait cru, autrefois. La tendresse émerveillée du visage de Nicolas, que lui transmettait les mains de sa propriétaire, le réveilla peu à peu de cet engourdissement volontaire, et celui qui ne savait que jouer le rythme de la vie de Romilly sur un tempo différent de celui des autres senti un douleur sourde pulser au rythme de ses palpitations.
Telle était la raison, ou la conséquence, de ce grondement. C'était la faim qui s'éveillait dans la poitrine de la musicienne, elle qui avait été anorexique de sentiments sans s'en apercevoir. Soudain elle se sentait avide de ce que lui offrait si spontanément le photographe, mais sans oser cependant tendre la main vers ce repas d'amour- d'amour dans son sens le plus absolu – qui se préparait dans la chaleur de la présence du jeune homme.

Instinctivement celle qui créait les mots en croches, en noirs, en blanches et en rondes avait comprit que la parole ne pouvait être le premier fil du lien qui allait tisser leurs retrouvailles. Le Renard du Petit prince semblait lui souffler à l'oreille "Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus". Alors soit : ils s'inventeraient un autre alphabet dont la parole ne serait que l'une des lettres, perdue au milieu de ses sœurs. Déjà Nicolas écrivait avec elle le premier idéogramme de leur future connivence, en cet effleurement ou les mains chuchotaient ce que les lèvres n'auraient su se dire.
Alors les longs cils noirs s'abaissèrent pudiquement sur le regard à cœur ouvert de la sorcière et dans ce simple geste elle indiqua à son ami qu'elle avait saisi ce que ses ongles écrivaient à sa paume, qu'elle acceptait ce pacte qu'ils avaient rédigé dans le flash d'une photo.

Leurs mains ne se délièrent pas, repues de chaleur dans la douceur de l'autre. Mais il n'en était pas de même pour le reste de leurs corps, et Romilly se mit soudain à craindre les ardeurs d'un froid qui jusqu'alors avait toujours été un compagnon presque apprivoisé, soufflant une bise affectueuse sur ses joues. Seule une simple chemise faisait bouclier entre les flocons de givre et la peau de son ami retrouvé, et la jeune femme ne pouvait accepter que le risque d'une maladie vienne planer sur le ciel de leurs confidences futures.
Nouant d'avantage ses doigts à ceux du photographe, la saxophoniste offrit à nouveau la malice de son regard à Nicolas. La parole n'était pas de mise entre eux, mais qu'en était il de la musique ? Doucement les lèvres pâlies par le froid s'entrouvrirent, laissant filer dans l'air cristallisé les accents étrangers d'une chanson née de la lointaine France

"Je connais un endroit charmant
Très à la mode et très bruyant
De ces endroits où les solitudes
Se multiplient dans la multitude

On n'a qu'une envie, c'est d'en sortir
Vous n'aurez besoin que d'un sourire
Je comprendrai qu'il est déjà tard
Nous irons boire un verre autre part"

Les paroles n'avaient que bien peu d'importance en fait, elle savait bien qu'il comprendrait son attention. Ce fut donc sans plus s'expliquer que Romilly héla un taxi, comme l'avaient faits tant d'inconnus avant elle. Sous le sourire aseptisé du chauffeur à casquette bleue elle s'engouffra sur le siège arrière, entraînant le londonien à sa suite. Son manteau bruissa légèrement, chantant les accents des vêtements qu'il dissimulait encore, puis elle fut assise dans ce cocon de silence soudain.

"Le Pat O' Brien's s'il vous plait"

Dicta-t-elle comme seule destination à leur chauffeur. Puis, alors que le moteur de la vieille Chrysler s'éveillait sous l'accélérateur, Romy retrouva le monde de confidence auquel elle accédait par les iris de Nicolas.


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   Posté le 26-11-2004 à 17:15:42   Voir le profil de Nicolas Underhill (Offline)   Envoyer un message privé à Nicolas Underhill   

Un vent chargé de milles pensées tournoyait dans l'esprit de Nicolas. Heureusement, il avait trouvé refuge dans l'œil du cyclone où régnait une sérénité absolue; cet îlot fragile autrement nommé: l'instant présent.

Il savait cette rencontre merveilleuse. Il concevait la magie du destin, la trame de l'univers qui conspire à notre évolution en s'inspirant de nos pensées les plus intimes. Le monde comme un puissant reflet de notre âme, un miroir répondant à l'image que nous avons de lui.
Cette rencontre était donc plus qu'un cadeau pour Nicolas, c'était aussi le fruit de ses choix de vie, le résultat d'une façon d'être, et la preuve que cette voie le menait vers le meilleur.
Rien ne lui était jamais apparu aussi limpide, précis, profond, et si simple à la fois. Jamais sa foi et son amour pour tout-ce-qui-est n'avaient été si solides qu'en cette éternité féerique.

Pourtant, le photographe laissait ces concepts mijoter sous les couches inaccessibles de son inconscient. Sa conscience, elle, était fixée et confinée dans cette bulle hors de temps qui planait toujours autour des deux amis. Leurs mains n'en formaient désormais plus qu'une, et son regard s'était noyé dans l'absinthe des yeux de Romilly. Plus rien d'autre n'existait vraiment que cette ivresse qui, au lieu d'embrouiller l'esprit, le rendait tellement plus clair.

Le sourire qu'ils s'offraient l'un l'autre était telle une jolie parenthèse contenant l'épigraphe de leur sentiment commun.

Lorsque Romilly resserra ses doigts autour des siens, Nicolas comprit que le pacte tacite avait été accepté. Elle lui laissait le temps dont il avait besoin. Ils se laisseraient le temps dont ils auraient besoin…

Il se délecta ensuite de la voix de Romilly créant encore une ambiance nouvelle dans cet enclos aux frontières impalpables. Nicolas y entra comme on passe d'un rêve à un autre. Si ces mots d'une langue étrangère n'auraient pas du avoir de sens à ses oreilles d'Anglais, il n'en parut rien. Son cœur alerte avait probablement saisi les effluves de sentiments qui découlent toujours d'une chanson, d'une musique, de sorte que le sorcier y acquiesça sans vraiment comprendre.

Aussitôt, la musicienne l'entraîna par le bras. Il eut à peine le temps d'agripper le sac qui reposait à ses pieds, avant de se retrouver sur la banquette d'un taxi en route vers l'endroit évoqué.
Le nom de cet établissement résonna aux oreilles de Nicolas comme la promesse d'une soirée inoubliable. Une fée lui chuchota même au creux du cœur que parfois, les soirées se prolongent sur toute une vie…

(suite au pat O' Brien's, une table du patio)


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